Evoquons brièvement l’histoire du Japon avant de nous attarder un peu plus sur celle du iaïdo. Elle est intéressante mais ce n’est pas notre principal propos. D’ailleurs, cette histoire n’est finalement pas très différente de celle d’autres contrées. En effet, elle commence par la formation de cités-états déjà dirigées par des familles ou des clans. Ceci jusqu’au jour où l’une de ces familles, plus puissante que les autres, ne prenne la direction des évènements et où son chef ne devienne Empereur. Parallèlement, du fait des nombreux échanges avec la Chine, les institutions, l’écriture et le bouddhisme font leur entrée progressive. Ces derniers évènements nous mènent vers le VIIIème siècle de notre ère. A partir de là, l’histoire ayant tendance à se répéter, il s’établit une sorte de cycle qui se reproduira plusieurs fois. D’abord, le pouvoir central s’établit à la force des armes, ensuite, il jouit de son autorité un temps plus ou moins long, et enfin, il décline jusqu’à ce qu’un autre clan ne prenne le dessus. Pour chacun de ces cycle, des clans illustres se succèderont tels les Taira, les Minamoto, les Hojo, les Ashikaga, ou encore les Oda, jusqu’aux Tokugawa, les plus célèbres notamment du fait de leur longévité, 265 ans. Mais, pendant près de 800 ans, l’Empereur a été « déchargé » des obligations bassement quotidiennes du pouvoir au profit du Shogun, sorte de gouverneur militaire émanant du clan au pouvoir. En 1868, les légitimistes rétablissent l’Empereur dans ses pouvoirs.

Cette fin de XIXème siècle marque l’ouverture au monde de l’archipel. Il avait été fermé aux étrangers voilà 250 ans, par les Tokugawa. Depuis, il deviendra le Japon que nous connaissons aujourd’hui.

Et le iaïdo, dans tout ça ? Eh bien, il est sans doute l’une des conséquences directes de toutes ces péripéties. En effet, on se doute bien que chaque changement de gouvernance ne s’est pas faite à l’amiable. Donc, tout ce qui se rapporte de près ou de loin à des techniques de combat progresse tout au long des siècles.

En fait, il existe assez peu de documents sur les techniques et les armes avant le VIII ème siècle. C’est à partir de là que l’on en apprend plus. D’une part, les sabres deviennent ceux que nous connaissons c’est-à-dire à un tranchant et à lame courbe. D’autre part, on sait que le kenjutsu (techniques de sabre) existe déjà. En effet, la tradition rapporte qu’un enseignement codifié de kumitachi (exercices à deux) existe alors. Très rapidement, du fait du déclin du pouvoir central en fin de premier cycle, le besoin de sécurité se fait sentir. Donc, plusieurs écoles anciennes (Ryu Ha) de kenjutsu voient le jour. Chacune développera son propre style pour répondre à différents problèmes ou « lacunes » parmi les techniques existantes. Il est dit que près de 400 écoles voient le jour. Parallèlement, les techniques de fabrication des sabres progressent et c’est vers le XII ème siècle que les meilleures lames sont forgées.

Le iaïdo « n’existe » pas en tant que tel à cette époque. En fait il n’a surtout pas de nom alors. Le iaïdo étant une discipline se travaillant seul, à priori, sans adversaire, il est évident que dans les entraînements certains exercices devaient s’exécuter seul. Mais, jusqu’à la deuxième moitié du XVIème siècle, il faisait partie d’un tout. L’histoire accorde à Hayashizaki Jinsuke Shigenobu (HJS) la paternité du iaïdo tel que nous le connaissons aujourd’hui. Bien qu’il ne soit pas le premier à introduire des principes zen dans sa pratique, cela va tout de même le conduire à une approche différente dans son enseignement. En effet, il base tout son savoir sur une certaine intuition et surtout la défensive plutôt que l’offensive, ce qui constitue une véritable révolution pour l’époque. En même temps, cela renforce la notion de « voie » qui vise à l’amélioration de chacun, de sa propre existence parmi ses congénères. Vers 1700, un deuxième « révolutionnaire » change la face du monde iaïdo. Il s’appelle Hasegawa Eïshin. Par son expérience et ses recherches sur le iaïdo, il en vient à se dire qu’on doit certainement pouvoir utiliser le temps de dégainer comme une action de frappe, ou tout au moins comme préparation d’une action de parade-riposte. Mais pour ce faire, il faut porter le sabre tranchant dirigé vers le haut…Il semble que cette posture ait été très rapidement adoptée par le plus grand nombre, efficacité et survie obligent.

Il faut encore ajouter à cela quelques modifications avant de parvenir à nos jours. Nous ne citerons qu’une seule d’entre elles : le reiho, l’étiquette. En effet, il ne semble pas que jusque là les pratiquants de iaïdo en fassent grand cas. C’est Omori Masamitsu, contemporain d’Hasegawa Eïshin qui se préoccupe de cette question et va emprunter l’essentiel à une école ancienne de kyujutsu (techniques de tir à l’arc) : l’école Ogasawara (Ogasawara ryu kyujutsu). Par ailleurs, c’est aussi à lui qu’on doit la codification d’un certain nombre de techniques assises. En effet, tout existait déjà pour le combat en extérieur, mais très peu pour répondre à une agression à l’intérieur d’une maison où l’on se trouve généralement assis à genoux. Mais nous sommes ici en train de dévier sur l’histoire propre de l’école Muso Shinden (Muso Shinden ryu), celle héritée de HJS. Il faut lui reconnaître qu’elle reste aujourd’hui la plus populaire des écoles pratiquées. D’autres écoles existent bien sur, nous l’avons dit, et il semble même que celle que nous pratiquons ne soit pas la plus ancienne. Apparemment, c’est la Nen ryu, datant à peu près de l’an 1400, qui tiendrait la palme, selon les spécialistes. Nous pouvons citer quelques écoles, toujours pratiquées et certaines issues de Muso Shinden ryu, telles Katori Shinto ryu, Tamiya ryu, Shinkage ryu, Nitten ryu, etc.…

Pour terminer ce chapitre, il nous faut encore revenir sur au moins deux évènements majeurs qui ont failli faire disparaître le iaïdo. D’abord, à la restauration de l’Empereur au pouvoir à l’ère Meiji, qui débute en 1868, est liée la volonté de moderniser le Japon, de l’ouvrir au XX ème siècle et de rattraper le retard pris dans un certain nombre de domaines. En 1876, c’est l’interdiction faite aux bushis, samouraï en fonction, de porter le sabre qui va mettre à bas toute une caste et par là même la pratique du iaïdo. « Heureusement », il existe toujours des irréductibles qui ont du mal à se conformer aux lois, ou qui ont été plus conscient d’un héritage culturel, et qui vont continuer de pratiquer de façon assez confidentielle voire secrète le iaïdo. Dans les années 30, il semble que la pratique se popularise de nouveau à travers tout le Japon. Mais, ensuite, arrive la seconde guerre mondiale avec la fin que nous savons. Le Japon est, pour la première fois de son histoire, occupé par les Américains qui interdisent, de peur de soulèvement, toute pratique d’arts martiaux pendant les sept ans de leur présence. Néanmoins, cette période est propice à la réflexion et débouchera sur la naissance, au début des années 50, de la fédération dont nous dépendons. Cette réflexion visera surtout à épurer le iaïdo de tendances ultranationalistes et militaires qu’il véhiculait ces derniers temps. Dans le prolongement de cette idée, sont créés les katas (1) de la série Seite iaï. Ils sont élaborés par un collège de sensei (1) à partir des différentes écoles qu’ils pratiquent. Ils servent de base pédagogique à l’étude du iaïdo. Parallèlement, les sensei recommandent la pratique d’une ou plusieurs écoles, ou, devrais-je dire, la pratique du iaïdo….

P. DEGORS

(1)  : Voir partie « Petits bonus ».